Point de formule magique ni de solutions miracles dans le livre de Raphaël Bruge. Juste le récit d’un homme qui a mis une partie de sa vie au service d’une cause et d’un groupe d’hommes auxquels il voue une admiration sans bornes. Un apprentissage de la discipline et du sens de l’honneur qui lui ont appris à tracer sa voie. À 21 ans, l’étudiant en commerce international quitte ses études pour intégrer l’École militaire de Haute montagne de Chamonix et devenir sous-officier. Puis, il est sélectionné pour faire partie du Groupement Commando de Montagne, l’élite des unités de chasseurs alpins envoyés sur des théâtres d’opérations aussi variés que la montagne ou le désert. Au fil des pages, Raphaël partage ses expériences vécues sur le terrain, des Alpes au Sahel et de l’Afghanistan à la Cordillères des Andes. Des enseignements qu’il a appris parfois durement et qu’il distille pour nous guider dans la vie de tous les jours, dépasser nos limites, surmonter nos peurs et devenir plus fort. Aujourd’hui retiré du service, l’ex commando a posé ses valises à Luxembourg et a retrouvé la vie civile.
PREMIUM : Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
Raphaël Bruge : À 37 ans, je n’ai pas encore tout-à-fait l’âge de « faire le bilan », mais j’ai déjà écrit quelques chapitres de ma vie au service de la France, comme chasseur alpin. J’ai quitté mon école de commerce à Paris à 21 ans pour m’engager comme sous-officier à l’École Militaire de Haute Montagne de Chamonix. Après un an et demi de formation intensive, j’ai été affecté comme chef d’un groupe d’infanterie au 13ème Bataillon de Chasseurs Alpins de Chambéry, avant de rejoindre trois ans plus tard le prestigieux Groupement Commando Montagne. Projeté plusieurs fois en opérations extérieures, j’ai vécu ma carrière militaire avec une grande intensité. J’ai voulu, humblement, partager 10 expériences à travers ce livre et livrer à travers elles 10 “leçons de vie” apprises parfois durement. Loin de l’idée de donner des leçons et encore moins des solutions toutes faites pour « réussir sa vie », je souhaite vous faire voyager avec moi et vous donner l’envie de surmonter vos peurs pour vous dépasser et repousser vos limites, mettre à profit chaque étape positive ou négative pour aller de l’avant et être fier de vous. Je lève un coin de voile sur des événements que je n’avais jamais racontés. Ça n’a pas toujours été évident d’exprimer mes sentiments sur le papier.
PREMIUM : Qui sont vos héros ? Quels personnages vous ont influencé ?
R. B. : Je me suis passionné très jeune pour la montagne. Parisien d’origine, je ne rêvais que de sommets enneigés, de ski et d’escalade depuis mes salles de classes. Les romans de Roger Frison-Roche m’ont révélé « l’esprit de cordée » que je garde comme un modèle de vie à appliquer au quotidien, dans son couple comme dans le milieu professionnel. Son roman intitulé « Les montagnards de la nuit » raconte l’histoire du maquis des Glières. Une poignée d’hommes, chasseurs alpins, qui laissent tomber leurs uniformes pour former un groupe de résistants harcelant sans répit l’ennemi nazi depuis les montagnes qui surplombent Annecy. Ces gars-là qui n’ont tiré aucune gloire de leurs actions, ont payé de leurs vies leur combat pour l’amour de la France et de la liberté. Et puis il y a les « Conquérants de l’inutile », titre du superbe livre de Lionel Terray. Les récits des montagnards de légende aussi : Maurice Herzog, Gaston Rebuffat et les autres, précurseurs magnifiques de l’alpinisme qui me donnèrent envie de marcher dans leurs traces. Il y a aussi les héros modernes et bien vivants que sont les blessés de guerre. Mes frères d’arme Jocelyn Truchet et le Colonel Laurent Catelain, tous deux amputés après avoir subi des attaques à la mine artisanale en Afghanistan. Ces deux là, mais ils ne sont pas les seuls, sont des modèles de courage !
Le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité à la vaincre !
NELSON MANDELA
PREMIUM : Quel a été le moment le plus dur à surmonter au GCM, celui qui vous a le plus marqué ? Cette embuscade en Afghanistan ?
R. B. : Dans mon livre, je souhaite partager mon épreuve du feu parce qu’elle m’a profondément marqué. Nous avions posé le pied 48h plus tôt dans la Forward Operating Base de Tagab, une petite base opérationnelle avancée nichée dans les montagnes afghanes. Nous effectuions une première patrouille de reconnaissance dans un village du fond de la vallée avec notre groupe de commando montagne lorsque nous avons été pris sous le feu. J’étais à ce moment-là en tête du groupe lorsqu’un taliban m’a pris pour cible à très courte distance. Chaque détail de ce moment est resté gravé au fer rouge dans mon esprit. J’ai eu une chance incroyable de sortir vivant de ce village avec mon groupe. Nous étions début décembre, c’était notre première sortie sur le terrain et nous allions devoir surmonter la peur et le danger pour continuer à mener des opérations de combat pendant 6 mois. Cette mission dans les montagnes d’Afghanistan durant l’hiver 2009-2010, au plus fort du conflit, reste pour moi l’expérience la plus intense de ma carrière militaire et sans aucun doute de ma vie. Notre groupe commando était basé avec deux compagnies de combat du 13ème Bataillon de Chasseurs Alpins dans un camp de la région de Kapisa, sur les contreforts de l’Hindu Kush. Nous vivions entre soldats, à 10 commandos dans deux tentes protégées par quelques sacs de sable. Pas de wifi, pas de distraction, un danger omniprésent et des moments d’une intensité difficilement descriptible.
PREMIUM : Comment avez-vous fait pour ne jamais lâcher pendant ces épreuves ?
R. B. : Il y a un moment où nous atteignons tous nos limites physiques. Les super-héros n’existent qu’au cinéma, la fatigue et le stress attaquent le moral de façon très efficace. Au fil des entraînements et des missions, le moral se renforce. J’ai un jour aperçu cette devise sur le fronton de l’école d’un village, dans le nord de la Côte d’Ivoire, que je me remémore souvent : « L’effort fait les forts ». La chose en laquelle je crois le plus face aux épreuves, c’est la force du collectif. Lorsque je repense à des missions compliquées, dans lesquelles nous avons été confrontés avec mon groupe à un danger mortel immédiat, où la situation commanderait plutôt de fuir vite et loin, l’idée de lâcher ou d’abandonner ne m’a jamais effleuré l’esprit. Mon attachement à mes camarades et mon unité était si fort que j’étais porté face aux risques par un sentiment proche de l’amour. La corde qui relie deux alpinistes est le lien visible de l’indéfectible cohésion qui permet d’atteindre le sommet ensemble. « L’esprit de cordée » ne s’applique pas seulement en haute-montagne mais aussi dans la vie, dans un couple ou dans la vie professionnelle.
PREMIUM : Quel regard portez-vous sur la situation actuelle, cette pandémie ?
R. B. : La bonne nouvelle c’est qu’on commence à voir le bout du tunnel ! J’ai une pensée particulière pour le personnel de santé au sens large, qui s’est retrouvé confronté sans préavis à des situations d’une gravité extrême. J’ai l’impression que nous ne sommes pas assez reconnaissants envers ces hommes et ces femmes de terrain. Nous avons eu une reconnaissance temporaire au début de la pandémie, et puis plus rien. L’engagement quotidien de ces professionnels doit être hautement valorisé. Quand se déclenche un évènement comme celui du Covid, nous sommes confrontés à l’échelle nationale à une situation qui s’apparente beaucoup à une opération militaire. La hiérarchie militaire existe pour une raison : celle de pouvoir en temps voulu prendre et faire exécuter des décisions afin de remplir une mission et de tout mettre en œuvre pour ramener tout le monde vivant. Une opération comme celle-ci ne s’affronte pas à la manière du chacun pour soi. Elle ne peut réussir que par la mise en commun des compétences et la réalisation d’un objectif commun. Chacun ne peut pas se déclarer spécialiste d’un sujet qu’il ne maîtrise pas et distiller des informations parcellaires et subjectives, au risque de provoquer la plus grande confusion. Les calculs politiques et économiques ne peuvent pas faire partie de l’équation Covid.
PREMIUM : Comment s’est passé le retour à la vie civile ? Parvenez-vous à utiliser dans la vie civile (et professionnelle) ce que vous avez tiré comme enseignement dans votre carrière militaire ?
R. B. : J’ai appris et appliqué des compétences pointues dans des domaines aussi variés que le tir, le combat en montagne, le parapente ou l’alpinisme. Toutes ces techniques trouvent difficilement preneur dans le monde civil. Au-delà de ces savoir-faire, l’armée offre des compétences cachées qui s’appliquent à merveille même lorsqu’on ne porte plus l’uniforme. La discipline, l’importance du collectif, la réalisation d’une mission, la loyauté, autant de valeurs qui s’appliquent aussi en entreprise et dans la vie de tous les jours. La vie civile est très différente à bien des égards, guidée par des motivations d’ordre économique induisant des comportements plus individualistes, mais les femmes et les hommes de valeurs sont partout. Quitter l’armée n’est absolument pas anodin. L’adrénaline des entraînements et des missions a laissé place à une vie plus confortable. Les missions dans le désert et les descentes en rappel d’hélicoptère ne font plus partie de mon quotidien, mais je construis une vie plus stable avec ma femme, et ça m’apporte énormément de bonheur.
PREMIUM : Maintenant que vous avez quitté l’armée, quels sont vos objectifs, vos projets pour l’avenir ?
R. B. : Vaste question ! Je me suis récemment installé au Luxembourg, et j’aime vraiment ce pays qui offre une multitude d’opportunités. J’ai mis tout mon cœur dans l’écriture de ce livre, en souhaitant que mes lecteurs y trouvent du plaisir et une source d’inspiration. J’ai beaucoup de plaisir à partager mes expériences, et je remercie d’ailleurs Premium de me donner l’occasion de les partager encore. La soif d’aventure, de nouvelles expériences et de dépassement ne me quittera jamais. Le retour à une vie post-covid ouvre à nouveau l’horizon à de nouvelles aventures !