
Rappelez-vous ces prises d’otages dans les films hollywoodiens, ce moment où la situation devient ingérable et le suspens insoutenable. C’est à cet instant que tout repose sur lui, ce négociateur qui va parvenir à faire basculer la situation. Comment ne pas être admiratif devant le sang-froid et l’empathie dégagé par cet homme ?Après être passé sur les bancs de la Faculté de Droit de Toulouse, de l’Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Police et de la National Academy du FBI, Laurent Combalbert a exercé des fonctions de commandement au sein des Sections de Protection et d’Intervention avant de rejoindre le RAID, l’unité d’élite de la Police Nationale française, en 1998, en tant qu’Officier-Négociateur. Il a contribué à la création de cette spécialité au sein de la Police Nationale et a formé de nombreuses forces d’intervention dans le monde. Une fois sorti de la police en 2004, il a exercé des fonctions de direction au sein d’un groupe international, et a organisé et conduit plusieurs dizaines de gestions de crise : évacuations politiques, kidnappings, prises en otage de systèmes d’information, arrestations arbitraires, contaminations malveillantes de produits… Fondateur de l’Agence des Négociateurs, qu’il dirige avec son homologue Marwan Mery, Laurent Combalbert s’appuie sur son expérience de la négociation et du management des situations complexes pour accompagner, former et conseiller managers et dirigeants en France, en Europe, en Asie et aux États-Unis. Il réalise plus de 200 interventions par an, dans le cadre de formations, séminaires, conventions, réunions de Comités de Direction, et au profit d’Universités d’entreprise. Consultant auprès de nombreuses sociétés et compagnies d’assurances, il est membre du comité scientifique de l’Institut National des Hautes Études de Sécurité et de Justice, enseigne au sein du groupe HEC, également expert pour l’Association Progrès du Management. Il intervient très régulièrement auprès des médias français et internationaux pour commenter les situations de conflit et de négociation.
PREMIUM : Quand et comment avez-vous découvert que vous aviez les capacités pour exercer ce métier ?
Laurent Combalbert : Je l’ai découvert un peu par hasard. J’avais préparé mon entrée dans la police avec la vision d’intégrer le groupe d’intervention, j’ai fait des études de droit et de sciences politiques pour préparer les concours d’officiers et je m’étais physiquement préparé pendant plusieurs années pour préparer les tests du RAID. Et avant d’intégrer cette unité d’élite, j’ai dirigé des Sections de Protection et d’Intervention pendant 3 ans (SPI), donc j’avais plutôt une vocation physique que de négociation. Lorsque j’ai fait ensuite mon mémoire politique, j’ai rencontré le commandant Michel Marie, qui était le tout premier négociateur du Raid. C’est lui qui, en 93, était aux côtés de Nicolas Sarkozy lors de la prise d’otages du “Human Bomb1” à l’école commandant Charco à Neuilly. Il va donner des conseils à Sarkozy qui va s’apercevoir que la négociation est un vrai métier. Par la suite, en 1998, Michel Marie décide de créer une équipe de négociation et me demande de le rejoindre pour l’aider dans cette tâche. J’ai découvert la négociation accidentellement. Je me suis aperçu qu’on faisait tous de la négociation au quotidien, y compris dans la police, puis je suis tombé dans la marmite et je n’en suis plus jamais ressorti.
PREMIUM : Lorsque vous dirigiez les Sections de Protection et d’Intervention, quel genre de missions est-ce que vous assuriez ?
Laurent Combalbert : Lorsque j’étais à la tête des SPI, j’avais 80 fonctionnaires sous mes ordres dont la mission était de traiter les situations dégradées, notamment dans les banlieues difficiles. Des banlieues qui s’enflamment, des rébellions qu’on pouvait constater dans certains quartiers, on était envoyés sur place pour ramener le calme et faire des interpellations. Équipés avec des moyens de protections qu’on appelle “les robocops”, les gros équipements de protections des CRS. On a été les premiers à tester ces dispositifs en interpellant les casseurs au milieu des manifestants.
PREMIUM : Quelles sont les qualités humaines nécessaires pour exercer le métier de négociateur ?
Laurent Combalbert : Il faut déjà être capable de gérer ses émotions, parce qu’on est dans un environnement d’émotions exacerbées. Toutes les parties prenantes sont sous tensions, le preneur d’otages, le forcené, même les otages, il ne faut pas se laisser piéger par ses propres émotions, ne pas se laisser emporter par ce torrent émotionnel. Ensuite, il faut être capable de réfléchir rapidement, parce qu’on va s’adapter d’autant que le secret de l’initiation c’est l’improvisation, c’est toujours la partie adverse qui vous donne le pouvoir de négocier avec elle. C’est toujours parce que le preneur d’otages vous reconnaît une légitimité qu’il va accepter de négocier avec vous. Si il ne l’accepte pas, vous êtes cuit, même si vous êtes bon négociateur. Il faut avoir la capacité d’être à l’écoute de l’autre, j’appelle ça être engagé, être à la disposition de l’autre, même avec un criminel ou un terroriste, sinon il ne rentrera pas en relation. Il faut également être empathique, voir son émotion et la neutraliser pour qu’elle ne perturbe pas la qualité de la relation. Enfin il faut savoir défendre sa position, même si l’autre n’est pas d’accord, il faut rester ferme, parce qu’on ne peut pas céder face à un forcené ou à un preneur d’otages. Il faut comprendre les enjeux, la motivation qu’il peut avoir mais sans oublier pourquoi on est là, qu’il se rende et qu’il libère les otages.
PREMIUM : Est-ce que les techniques du FBI sont différentes de celles des services de police européen ?
Laurent Combalbert : Aux États-Unis ils sont très procéduriers, en France on est plus basés sur l’improvisation. Encore une fois, un des secrets de la négociation c’est de savoir s’adapter à la situation. Les américains ont des process dans lesquels il faut rentrer pour s’assurer qu’on a bien tout respecté.
PREMIUM : Quelle est la situation de négociation qui vous a le plus marqué quand vous étiez au RAID ?
Laurent Combalbert : C’était un schizophrène qui tenait son fils de 18 mois à bout de bras, pendu par un pied, au 8ème étage de son bâtiment. Il a fallu agir vite, car l’enfant était en train de cyanoser. J’ai donc été au contact physique avec lui directement, ce qu’on ne fait jamais, mais c’est la seule façon que j’ai eu de le neutraliser et de sauver l’enfant. J’ai été blessé d’un coup de couteau dans la jambe en le maîtrisant, le temps que le groupe d’intervention arrive.
PREMIUM : Utilisez-vous votre force de persuasion, cette forme de pouvoir que vous avez, dans la vie de tous les jours ?
Laurent Combalbert : Ce n’est pas forcément une forme de pouvoir, par contre c’est clair qu’on passe notre temps à négocier, à faire face à des désaccords, et à faire en sorte qu’ils ne viennent pas impacter notre capacité à rester ferme sur nos positions. Oui, tout le monde passe son temps à négocier. Les techniques et les méthodes que j’ai pu développer dans mon métier, je les appliquent aujourd’hui dans mes négociations, qu’elles soient professionnelles ou privées. Aujourd’hui, je suis négociateur professionnel, je dirige des équipes un peu partout dans le monde avec les mêmes ressources et qualités que lorsque j’étais au RAID. C’est juste les enjeux qui changent, quoi que lorsqu’on gère des kidnappings ou des extorsions, cela reste des enjeux vitaux.
PREMIUM : Et dans des situations plus légères, lorsque vous achetez une voiture par exemple ?
Laurent Combalbert : Quand je suis en mode négociation, j’ai souvent beaucoup de résultats, c’est normal parce que c’est mon métier. Mais je dirais que les négociations les plus difficiles, sont celles que j’ai avec mes enfants ! J’ai des enfants qui sont de très bons négociateurs 🙂
PREMIUM : Que pensez-vous des films hollywoodiens qui mettent en scène votre métier ?
Laurent Combalbert : C’est peu crédible, très scénarisé. J’ai eu la chance d’avoir une série télé consacrée à mon équipe, RANSOM, sortie chez CBS. Quand on a regardé les scénarios, on s’est dit que c’était très bien pour le grand public, mais que ce n’était pas la réalité. Il faut accepter que, lorsqu’on veut vulgariser ce domaine, ça ne ressemble plus à ce qu’on fait dans la vraie vie, mais c’est normal, sinon ce ne serait plus accessible pour la plupart des téléspectateurs…
PREMIUM : Avez-vous déjà eu d’autres propositions pour la télévision ou le cinéma ?
Laurent Combalbert : Oui pas mal, justement je viens de sortir un roman policier (NÉGO) qui fait un gros carton, et j’ai pas mal de demandes par rapport à ça. J’ai des propositions d’adaptations au cinéma ou à la télévision, mais je n’ai pas donné suite pour l’instant par manque de temps, mais à terme c’est possible que je me tourne vers une série télé avec ce roman.
PREMIUM : Comment vous est venu l’idée d’écrire ce roman ?
Laurent Combalbert : J’ai écrit 25 livres, tous des histoires vraies, dans lesquels je racontais déjà mes histoires, et j’ai eu envie d’écrire une fiction après une négociation avec quelqu’un qui était complètement fou. Je me suis demandé ce que cette personne ferait si elle rencontrait une autre personne avec qui j’avais déjà négocié et qui avait des idées similaires. Je me suis demandé ce qui se produirait si les deux se rencontraient, et le résultat a donné ce roman.