Fashion

La fille Chanel

Virginie Viard, actuelle directrice artistique de Chanel, a dû succéder à un monstre sacré de la mode, le regretté et iconique Karl Lagerfeld. Un peu plus d’un an après son décès, cette nouvelle ‘fille Chanel’ commence à faire parler d’elle.

Femme de l’ombre, Virginie Viard n’est pourtant pas une novice, loin de là. Elle a travaillé aux côtés de Karl pendant 30 ans et lui-même la décrivait comme son «Bras droit et bras gauche à la fois”. Alors qu’elle était directrice du studio de création mode de Chanel – et la plus proche collaboratrice du Kaiser – la disparition de Lagerfeld avait provoqué un véritable séisme dans tout l’univers de la mode en février 2019. C’est dans ces conditions particulières que Virginie a dû prendre la relève d’un créateur de génie, défendre sa propre vision artistique de la Maison Chanel tout en honorant l’empire que le Kaiser avait érigé ces dernières décennies.

Chanel par Karl
En 1983, lorsque Karl Lagerfeld reprend la direction artistique de la maison au double C, il a du pain sur la planche. Considérée comme l’une des plus grandes maisons de haute couture françaises, elle est surtout en plein essoufflement au début des années 80 et peine à retrouver ses marques après le décès de sa créatrice, Coco Chanel. A tout juste 50 ans, c’est un défi que Karl souhaite relever, sans se douter alors que c’est un contrat qu’il signe et qu’il portera à bout de bras pour le restant de sa vie. Dès son arrivée, la mission de Karl est de rajeunir la marque et défaire le cliché de l’emblématique tailleur Chanel trop souvent associé à cette époque aux bourgeoises d’un certain âge. Avec son sens pointu des tendances, et son don de conjuguer héritage et modernité, il parvient à redonner à Chanel ses lettres de noblesse. Grâce à sa créativité et son impertinence aussi, il glisse rapidement avec un goût subtil le denim, les minijupes et les baskets dans les lignes Chanel. Pour autant, il s’attèle à perpétuer le style élaboré par Mlle Coco en exploitant largement le noir et le blanc. As de la communication et génie touche-à-tout, il n’aura de cesse d’impressionner le public et révolutionner tout l’univers de la mode. Il impose un rythme effréné à la maison au double C avec six shows par an… Et quels shows ! Car il est passé maître dans l’art de projeter des défilés grandioses : carrousel au charme d’antan, jardins à la façon Versailles, aéroport, supermarché, forêt enchantée, banquise géante, etc, toutes ses lubies sont transformées en décors époustouflants. Il est aussi le premier à établir un contrat d’exclusivité entre un mannequin et une maison de couture, stratégie qu’il a commencé à adopter avec Inès de la Fressange puisqu’il trouvait que son minois rappelait celui de la fondatrice Coco. Karl n’a eu de cesse de fouiller dans l’âme de la maison et est parvenu à faire sortir de ses entrailles le meilleur du savoir-faire français en matière d’artisanat de mode ; c’est ainsi que sont nés les fameux défilés Métiers d’art. Avec ses coups de génie, ou ses coups d’avance, Karl Lagerfeld a fait renaître la Maison Chanel de ses cendres, mais plus que cela, il en a fait l’institution qu’elle est aujourd’hui, une référence. Quoiqu’elle paraisse difficilement détrônable, c’est désormais à Virginie Viard qu’incombe la lourde tâche de faire naviguer le paquebot Chanel, dans les eaux du succès mêlant toujours tradition et modernité.

Ci-contre, Jill Kortleve, le mannequin grande taille que Virginie Viard a fait défiler symboliquement. Cette dernière affiche une taille 40, bien au-delà des silhouettes standards.

Chanel sous la coupe de Virginie
La première fois qu’elle a salué le public, c’était le 22 janvier 2019, à la clôture du défilé haute couture que Karl Lagerfeld n’a pas été capable d’assurer… pour la première fois depuis ses débuts chez Chanel en 1983. Près d’un mois plus tard, nous apprenions sa disparition. C’est donc dans les coulisses que se préparait déjà cette relève, évidemment, une relève octroyée à celle qui fut donc “le bras droit et le bras gauche” du Kaiser pendant plus de trente ans. Car avant de rentrer dans cette immense maison de haute couture française et d’en devenir la directrice du studio en 1997, Virginie Viard connaît sa première collaboration avec le maître dix ans plus tôt, en 1987. Cela faisait seulement quatre ans qu’il avait pris les commandes de la direction artistique de Chanel, et elle venait de débuter en tant que stagiaire en broderie de haute couture. «Karl, c’est la rencontre de ma vie. Quand le l’ai vu pour la première fois, j’ai tout de suite senti que le courant passait.» confiait-elle. « J’imagine qu’on est complémentaires, je le comprends bien, j’arrive à sublimer ce qu’il a envie de faire, j’ai compris où il voulait emmener Chanel, mais je ne peux pas vraiment l’expliquer, c’est comme ça ! », expliquait-elle en 2015. Plus tard elle précisait: « Je donne vie aux collections avec les ateliers et les maisons du Métier d’Art, d’après les croquis de Karl. Je coordonne les équipes, collabore avec les fournisseurs et choisis les tissus. (…) J’essaie de lui plaire, mais j’aime aussi le surprendre ».
Depuis qu’elle n’est plus dans l’ombre de son mentor mais qu’elle assure la relève, Virginie pose doucement et intelligemment ses marques. En mars dernier, elle présentait dans le Grand Palais à Paris, lieu de prédilection des défilés Chanel, la dernière collection de la maison. Plutôt qualifiée de discrète, Virginie Viard a opté pour un décor qui lui ressemble davantage, où le spectaculaire, le grandiose, a cédé sa place à plus de sobriété. Alors que le Kaiser nous avait habitué à toutes sortes de surprises et d’extravagances, cette nouvelle fille Chanel a savamment choisi un décor en noir et blanc – couleurs fétiches de la maison – avec un sol miroir. Rien de plus. Hormis quelques belles revisites qu’on lui attendait, comme le fameux tailleur en tweed et autre petite robe noire attifés d’un style seventies, c’est la présentation de la collection, en elle-même, qui soufflait un vent de fraîcheur et de ‘vrai’. Les mannequins semblaient défiler en bandes de copines, souvent par deux ou trois… Mais ce qui lui a valu un sacré coup de pub – ou de génie – parfaitement dans le sillage de son mentor, c’est son choix délibéré d’avoir mis sur le podium un mannequin en particulier. Aux côtés des nouvelles figures les plus demandées de la planète mode (Kaia Gerber, fille de Cindy Crawford ou encore Gigi Hadid), c’est une mannequin presque méconnue qui a fait le plus parler d’elle : Jill Kortleve. Oui, Virginie Viard a osé la faire défiler, et dans cet univers, c’est plutôt inattendu et téméraire. Alors qu’est-ce que cette Jill Kortleve peut-elle bien avoir de si particulier ? Et bien elle affiche une taille 40, bien au-delà des silhouettes standards ou poids plume (en fait, c’est près de 3 tailles en plus quand même). Plus symbolique encore, la taille 40 est manifestement l’une des tailles les plus portées par les femmes. Pour ce premier défilé Chanel signé Viard, le public commence à percevoir la patte de la créatrice, si bien formée manifestement par le Kaiser. Et sous ses airs de femme discrète semble se révéler une femme affirmée, qui ose et qui assume – sous les projecteurs – ses choix.

Final du défilé Chanel – Photo : Olivier Saillant
Final de la Collection Metiers d’art au 31 rue Cambon – Photo : Olivier Saillant

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