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Les aventures de Matthieu l’explorateur

Le 13 janvier 2019, il atteint le Pôle Sud après 51 jours d’expédition en solitaire. À seulement 29 ans, il a mené des expéditions dans plus de 90 pays, à vélo, à ski, en voiture, à la voile ou en kayak. Qu'est-ce qui motive cet aventurier à se dépasser et quels vont être ses prochains défis ?

Avec des études qui l’ont poussé du King’s College London à Sciences Po, Matthieu aurait sans doute pu embrasser une grande carrière, mais le destin en a décidé autrement. Enfant, il rêve déjà d’une vie d’ex- plorateur en lisant les aventures de Tintin. Puis jeune homme, avec le bac en poche, il décide de traverser seul à vélo l’Europe de l’Est jusqu’à Istanbul. Une pre- mière aventure à l’instinct, où il découvre les joies du voyage itinérant et de la rencontre avec l’autre. L’année suivante, après avoir postulé sur un site de « bourse aux équipiers », il embarque aux Caraïbes sur un voilier pour traverser l’Atlantique. En 2013 – 2014, il fait avec son ami d’enfance, Nicolas Auber, un tour du monde en 4L pour promouvoir la microfinance. Un voyage de 50 000 km à travers 40 pays à la rencontre d’une cinquantaine de micro-entrepreneurs, dont ils ont soutenu les activités par l’intermédiaire d’institutions de microfinance fran- çaises et internationales (25 000€).
Son goût pour la photographie le mène vers des expé- ditions photographiques en Asie centrale, en Irak, au Pakistan, en Corée du Nord… Il aime également l’aven- ture lorsqu’elle se double d’un challenge physique. Il participe à la Transcontinental Race en 2015, une course cycliste à travers toute l’Europe au cours de laquelle il pédale 4000 km pendant 16 jours, ainsi qu’au Marathon des Sables en 2017, une course à pied en autosuffisance de 250 km. Une année plus tard, il retourne dans le Sa- hara pour le traverser du nord au sud en vélo électrique, du Caire à Khartoum.

Le 13 janvier 2019, il atteint le Pôle Sud après 51 jours d’expédition en solitaire. Il devient alors le premier Français et le plus jeune au monde à rallier le pôle Sud en solitaire, à skis et sans ravitaillement.

Membre de la Société des Explorateurs Français, il donne de nombreuses conférences aux entreprises et dans les écoles sur les thématiques du dépassement de soi, de la motivation, de la résilience et de la prise de risques, ou encore sur l’environnement et les mondes polaires.

PREMIUM : Est-ce que c’est compliqué à gérer cet instinct d’explorateur ? Comment occupez- vous vos journées quand vous n’êtes pas engagé dans une aventure ?

Matthieu Tordeur : Ces aventures que je mène depuis plus de 10 ans sont le fruit d’une passion. Je n’ai pas l’impression d’exercer un métier, mais plutôt de suivre une envie profonde, de m’éprouver, de voyager, de me dépasser…

Ce n’est pas une difficulté de suivre cette voie, car c’était comme une évidence. Ça n’a pas toujours été facile, j’ai mis du temps à assumer que je voulais devenir un aven- turier professionnel. Ça ne me semblait pas tangible, c’était comme un rêve. Désormais, je ne ressens plus de difficultés à assumer cette volonté, je suis profondé- ment ancré dans ce quotidien d’explorateur. L’essentiel de mon temps, lorsque je ne suis pas en expédition, se passe en ville : j’y suis pour préparer mes voyages, ou bien pour les partager au public après mon retour. Par exemple, lors de mon expédition en solitaire en Antarc- tique, durant laquelle j’ai passé deux mois à skier sur la glace, il y a eu en amont deux ans de préparation phy- sique et mentale, à chercher des sponsors, préparer mon équipement et mon alimentation, quelques départs en expéditions de préparation…

Je suis revenu il y a presque trois ans, et, depuis, je raconte mes aventures lors de conférences, mais égale- ment avec des récits écrits (j’ai d’ailleurs publié un ou- vrage : Le Continent blanc aux éditions Robert Laffont), ou encore des documentaires télévisés. Je m’échappe assez régulièrement car j’ai besoin de vivre de nouvelles aventures. Mais les plus conséquentes prennent du temps pour être réalisées pleinement. La transmission, le partage, prennent donc place en ville, et sont aussi importants que l’aventure en elle-même, elles repré- sentent une part conséquente de mon travail.

PREMIUM : Qui sont les aventuriers ou les personnes qui vous ont inspiré ?
M. T. : 
Incontestablement, c’est Jean-Louis Etienne qui m’a ouvert la porte vers ces expéditions polaires. Il est un explorateur polaire émérite, un grand pédagogue, un activiste du climat… Je l’ai rencontré à la Société des Explorateurs Français, et il a eu la gentillesse de parrai- ner mon expédition en Antarctique ; c’était une forme de caution morale, un soutien non négligeable pour la bonne conduite de mon expédition. Jean Louis Etienne a d’ailleurs une formule parlante pour s’engager dans des projets ambitieux : « À force de travail, de temps et de persévérance, on arrive à tout ».

Les bandes-dessinées des aventures de Tintin ont égale- ment fait germer cette petite graine en moi. Je dévorais ces BD avant même d’être en CP et de comprendre leur message. Ça m’a permis de réaliser, très jeune, qu’il y avait d’autres cultures que la mienne, de sortir d’une sorte d’ethnocentrisme nocif. Je suis persuadé que ça m’a donné l’envie de découvrir le monde.

PREMIUM : Quel est le pays qui vous a le plus fasciné et pourquoi ?
M. T. : 
C’est très compliqué de faire un classement des pays que j’ai visités. Je pense que l’expérience d’un pays dépend des rencontres qu’on y fait, des saisons, d’un état d’esprit dans une période de vie spécifique… Le pays qui m’a le plus marqué est indéniablement l’Inde, où je suis retourné trois fois. C’est un univers à part, et c’est l’un des rares peuples qui ne nourrit aucune fasci- nation pour l’Occident. Visiter l’Inde est désarçonnant de prime abord, on ne comprend pas tout à leurs rites uniques, et on peut se sentir déboussolé car tous nos sens sont étonnement stimulés. L’Inde, soit on adore soit on déteste. Une chose est sûre, elle ne laisse pas indifférent. C’est un pays vivant qui bouscule.

PREMIUM : Qu’évoque pour vous “l’horizon blanc” ?
M. T. : 
Je le rapprocherai du terme anglais “Whiteout “, qui peut être assimilé à un brouillard blanc à perte de vue qui brouille tout l’environnement. C’est un phénomène optique atmosphérique qui vient annuler tout sens de la perspective, du contraste, du relief… On est totalement aveuglé par le blanc, tous nos repères sont chamboulés, à tel point que l’oreille interne ne peut plus se repérer dans l’espace et donne une sensation de nausée. J’ai expérimenté plusieurs fois ce phénomène durant mon expédition : je ne parvenais plus à me repérer ni à main- tenir un équilibre, et devait me servir d’une boussole. L’horizon blanc que j’ai côtoyé durant mon aventure en Antarctique se réfère à ce phénomène scientifique.

PREMIUM : Quels sont vos projets pour le futur ? M. T. : J’ai participé à la production de plusieurs do- cu-films, notamment sur la fonte des glaciers alpins, et l’équipe et moi nous sommes rendus sur place. Je suis également rentré récemment d’une expédition au Tadjikistan, afin de documenter l’accès à l’eau en Asie centrale en parcourant le glacier Fedtchenko, au cœur des montagnes du Pamir. Je ne suis pas un spécialiste de l’environnement ni du climat, mais je me donne pour mission de vulgariser la science par l’aventure auprès du grand public. Les documentaires sont un bon moyen pour porter des causes qui me tiennent à cœur. En les incarnant, je tente à mon niveau de faire bouger les choses dans le bon sens.

Marathon des Sables, tour du monde en 4L, Matthieu est un aventurier insatiable pour qui « La vie est une aventure audacieuse ou elle n’est rien ».

Crédits photos : © Matthieu Tordeur

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