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Jacky Ickx, the gentle Mans

Le pilote belge, Jacky Ickx, a remporté les 24 Heures du Mans à six reprises. Voici six choses à savoir sur ce pilote et homme d’exception, considéré comme un véritable gentleman du milieu automobile. Source : 24 Heures du Mans
Crédit photo : MARKA / Alamy Stock Photo

Il est entré dans la légende en marchant
En 1969, l’homme a marché sur la lune et un autre, de manière plus discrète, a pris le départ des 24 Heures du Mans en marchant. Alors que les 50 voitures au départ sont rangées en épi devant les stands, les pilotes sont de l’autre côté de la piste, prêts à courir vers leur auto comme c’est la coutume depuis 1925. Lorsque le starter donne le départ, tous les pilotes piquent un sprint pour rejoindre leur voiture. Tous sauf un : Jacky Ickx. Le pilote belge rejoint sa Ford GT40 aux couleurs de Gulf en marchant pour protester contre ce type de départ qu’il juge trop dangereux. Il prend le temps de s’attacher. Au moment de s’élancer, tous les autres pilotes sont déjà partis. Une manœuvre qui ne l’a pas empêché de remporter la course avec son coéquipier Jackie Oliver. Cette même année, il a empêché la première victoire de Porsche, marque avec laquelle il va ensuite gagner à quatre reprises.

L’équilibriste
À la fin de l’année 1974, Jacky Ickx participe à une soirée caritative organisée au vélodrome de Rocourt, une ville située dans la province de Liège. Lors de cette soirée, le pilote belge traverse la largeur du stade en marchant sur un fil tendu à cinq mètres du sol, sans fil et sans protection. S’il avait participé à un match de football l’année précédente, Jacky Ickx avait décidé d’apporter sa contribution d’une manière différente. Il s’était entraîné au préalable, dans son jardin, durant 15 jours à l’aide d’un câble installé à deux mètres du sol, de chaussons de cirque et d’un balancier.

La première victoire d’un moteur turbocompressé
En 1976, avec son coéquipier Gijs van Lennep, il permet la première victoire aux 24 Heures du Mans d’une voiture équipée d’un moteur turbocompressé. C’était avec la Porsche 936, une barquette qui reprenait de nombreux éléments de la 917. Cette voiture était donc motorisée par un Flat 6 turbo de 2,1 L repris à la Carrera RSR Turbo de 1974. « Lorsque vous pilotez une Porsche 936, 956 ou 962, à la fin vous disposez d’une voiture capable de gagner. En tant que pilote, il vous appartient de rester sur la piste, d’être le plus rapide possible. Avec cette voiture, nous atteignions une vitesse maximale incroyable. Quand vous faites ce qu’il faut pour gagner, ce n’est pas un miracle », estime Jacky Ickx. C’est à l’issue de ce succès qu’il choisit définitivement l’endurance, pour un bail d’une décennie complète avec Porsche.

C’était à priori une course perdue. Je n’aurais pas dû gagner cette année-là.

Selon lui, il n’aurait pas dû gagner en 1977
En 1977, Porsche engage deux 936. Jacky Ickx est associé à Henri Pescarolo sur la #3 tandis que la #4 est pilotée par Jürgen Barth et Hurley Haywood. Le constructeur allemand affronte Renault-Alpine. Après quatre heures de course, une bielle provoque une casse moteur sur la #3. Porsche décide de faire passer Jacky Ickx sur la voiture sœur (sur laquelle il était inscrit comme pilote de réserve, ndlr). Durant la nuit, il bat le record du tour établi en 1973 par François Cevert (Matra) à trois reprises. Au petit matin, la voiture figure en deuxième position puis elle passe en tête après l’abandon de la Renault-Alpine de Jean-Pierre Jabouille et Derek Bell. Sur cinq cylindres, la 936 #4 franchit la ligne d’arrivée en gagnante. « C’était à priori une course perdue. Je n’aurais pas dû gagner cette année-là », reconnait le pilote belge avant d’ajouter : « Une course comme celle-là, on n’en connait pas beaucoup dans une vie de pilote. Ce fut magique parce que nous avons transformé une course perdue en une course gagnée, où toute l’équipe est sublimée. »

Il fut conseiller stratégique de Mazda
Jacky Ickx revendique une septième victoire aux 24 Heures du Mans, pas comme pilote mais comme conseiller stratégique. En effet, en 1991, Mazda établit un partenariat avec Oreca pour préparer l’épreuve et orchestrer la stratégie. Jacky Ickx joue le rôle de coach et participe ainsi au premier succès d’un constructeur japonais sur la classique mancelle avec l’emblématique 787B équipée d’un moteur rotatif. « D’un côté, il y avait l’expérience et la stratégie européenne ; de l’autre, l’abnégation et la rigueur japonaise… Tout cela uni dans un climat de passion qui soudait les deux camps », explique-t-il.

Grand Marshall des 24 Heures du Mans 2018
À l’occasion de la 86e édition des 24 Heures du Mans, Jacky Ickx est désigné Grand Mashal par l’Automobile Club de l’Ouest. C’est lui qui a l’honneur et le privilège de piloter la « leading car » qui devance les concurrents lors du tour de lancement. Un nouveau rôle pour le sextuple vainqueur de la classique mancelle après avoir été starter d’honneur en 2000 puis directeur d’épreuve en 2001. « J’ai une jolie histoire avec cette course. Le Mans m’a toujours gâté », conclut-il.

Jacky Ickx en 1969

PREMIUM : Quel genre d’élève était le petit Jacky à l’école ? Rêvait-il déjà de courses automobiles ?
Jacky Ickx : Le petit Jacky a la chance incroyable d’être un mauvais élève, dont les professeurs, avec beaucoup de courtoisie, disaient « Qu’est-ce qu’il est intelligent, mais comme il est paresseux ». La formule idéale que les professeurs disent aux parents des élèves qui sont de vrais cancres pour les encourager. Une manière de dire poliment la réalité de leurs pensées. J’étais plutôt gentil, mais au fond de la classe systématiquement, car le message passait de professeur en professeur. J’avais le loisir de regarder souvent par la fenêtre, je montrais peu d’intérêt pour ce qu’ils disaient mais, comme j’étais gentil et tranquille, on me foutait une paix intégrale. Pour se trouver une vocation, il faut presque faire le désespoir de ses parents, qui se posent la question très barbare de ce qu’ils vont faire avec leur fils plus tard qui ne montre aucun intérêt pour la scolarité. La chance c’est que, dans leur désespoir, ils ont toujours voulu me faire plaisir : plus j’étais mauvais, plus je recevais des cadeaux merveilleux, que personne n’aurait jamais pu espérer, hormis selon les mérites mais, comme je n’en avais pas, c’était très étonnant. Des promesses jamais tenues : dire que je ferais mieux mais je n’en avais absolument aucune intention. Dans leur désespoir de trouver une activité qui me plairait, ils m’ont offert une moto. Avec celle-ci, j’ai commencé à faire du trial, un sport d’équilibre. Ils ont capitulé. J’ai quitté l’école. Avec ça, au lieu d’être au fond de la grille, visiblement, j’avais une certaine adresse et j’ai connu, assez rapidement, les joies des podiums. Ce qui était pour moi une grande découverte, après avoir caché si longtemps systématiquement mes bulletins, que “j’oubliais” dans mon banc ! Un petit soulagement mais, finalement, une punition, puisque ça m’a amené à faire des courses automobiles. Chaque fois, j’avais une voiture un petit peu plus puissante. Une tragédie pour mes parents, parce qu’ils ont vécu un stress et une peur permanents pendant toute ma carrière. Ils en ont été profondément affectés et malades. Ça, c’est une chose, l’autre chose, sous forme de boutade, dans les faits, je n’ai jamais fait ce que je voulais. J’ai cru dans mon enfance, après avoir vécu de manière assez solitaire dans la nature avec beaucoup de libertés, que j’allais devenir jardinier. J’aurais aimé être jardinier ou garde-chasse. Ç’a été une vie formidable, mais ce qui est surtout incroyable, c’est d’avoir survécu à ça, parce qu’à l’époque, dans les années 60-70, c’était brutal. Je dis ça sans vouloir influencer le comportement des gens qui choisissent cette vie, qui sont heureux et libres de le faire. Le danger n’est jamais entré en ligne de compte de mes performances. Pour conclure, je dirais qu’il y a plein de gens qui roulent très bien aujourd’hui, qui font des choses tout aussi extraordinaires, le risque en moins. Ce qui vous guide, c’est très basique, c’est l’envie d’être le meilleur. Surtout quand on a été frustré comme moi, les retours à la maison avec des bulletins désastreux n’étaient quand même pas très comiques dans l’ensemble. Ce sont des moments extrêmement difficiles et délicats. Le reste vous le connaissez. Aux États-Unis, on dit de moi, “One of the Great”, un des grands, après avoir fait de multiples choses dans divers domaines, ce que tout le monde faisait à l’époque.

PREMIUM : Comment jugez-vous le monde de la course automobile aujourd’hui par rapport à celle de l’époque ?
J. I. : Ne surtout pas faire l’erreur de comparer les époques, elles ne sont pas les mêmes et ne se ressemblent en rien. En mathématiques, on peut faire des calculs de celui qui a eu le plus de succès. En automobile, pour réussir, il faut un bon outil, conçu par des gens que vous ne verrez jamais. L’essentiel de la performance en finale est le résultat de ceux qui vous donnent une machine capable de gagner, à vous de terminer le projet. Très sincèrement, quand vous êtes dans la bonne équipe, ce qui n’a pas toujours été mon cas, ça permet d’avoir un résultat intéressant. Les vrais gestionnaires de tout ça sont des gens que vous ne verrez jamais, dont le mérite est de faire des choses à 100%, sans limite de temps, avec précision, motivation et passion. Ce sont eux qu’il faut remercier. Par exemple, Hamilton insiste beaucoup là-dessus aujourd’hui.

Hamilton mathématiquement sera intouchable dans le futur…

PREMIUM : On sait que vous appréciez Lewis Hamilton, qu’est-ce que vous aimez chez lui ?
J. I. : Hamilton, mathématiquement, sera intouchable dans le futur, en gagnant plus de 100 GP, etc. Je l’aime surtout parce qu’il a franchi une étape pas seulement en termes de conduite, mais en tant qu’être humain. Une étape fantastique parce qu’il est devenu un activiste. Avant lui, personne ne s’est engagé autant pour des causes comme Black Lives Matter, ou maintenant en prenant la défense de la tenniswoman Naomi Osaka. Il est engagé, c’est aussi brillant que son pilotage, il n’a pas peur d’y aller et ça me plaît beaucoup. Dans l’automobile, le sport individuel, tous les sports mécaniques, il faut grandir, il faut oser s’engager. Avec le temps qui passe, Hamilton grandit magnifiquement.

PREMIUM : Quel est votre plus beau souvenir de votre vie de pilote ? Et le pire ?
J. I. : Je dois reconnaître que l’envie de gagner qui est déterminante pour faire la différence a changé chez moi quand j’ai fait le rallye du Dakar. Souvent, je dis que la période de ma vie la plus intéressante de mon existence, c’est peut-être la dernière partie, avec la découverte de l’Afrique, mais, paradoxalement, je dois faire attention pour éviter les mauvaises interprétations. La découverte des gens, de leur vie, de voir des choses incroyables et, surtout, d’avoir une vision totalement différente de celle basique d’un sport malgré tout très individualiste et égoïste. On peut dire que j’ai eu beaucoup de chance. Je pense être un des pilotes qui a fait le plus de kilomètres quand on additionne toutes les disciplines : la probabilité d’avoir un incident était donc très élevée. J’ai eu un ange gardien merveilleux qui n’a pas su tout m’épargner. Dans l’automobile, il y a aussi des moments terribles, je ne m’étale pas sur le sujet parce que ce sont des blessures ouvertes qui ne cicatriseront jamais.

PREMIUM : Comment imaginez-vous le futur du sport automobile avec les nouvelles technologies électriques ?
J. I. : Beaucoup de choses se sont passées cette dernière année. On a vécu ce qu’aucune génération actuelle n’avait vécu, à savoir la fragilité de l’être et combien une pandémie peut changer la vie des Hommes et la société en même temps. Il y a ce côté tout aussi incroyable d’un vaccin créé en neuf mois. Les jeunes ont une prise de conscience sur l’environnement. Cette génération actuelle ne reviendra jamais en arrière sur le virage qui a été pris. La mobilité a commencé par le chemin de fer, les trains. Pour la première fois, l’Homme avait une autre limite que l’endroit où il naissait. Mobilité automobile qu’on a vécue dans les cent dernières années, cette liberté incroyable de pouvoir partir où l’on veut quand on veut : quelque chose de précieux. Industriellement, on se dirige dans les dix prochaines années sur un marché qui serait 50/50 : les moteurs thermiques et électriques, avec en toile de fond les moteurs à hydrogène. On peut se poser la question si, dans dix ou quinze ans, il y aura encore des courses automobiles. Demain, assurément, ce sera différent. Il est temps de changer, c’est une certitude, on ne peut pas continuer comme ça.
Propos recueillis par David Bail et Daphné Roda

Une Porsche de légende en hommage à un pilote de légende
Avec la 911 Carrera 4S « Belgian Legend Edition », Porsche a voulu rendre hommage à la légénde Jacky lckx. Un chef-d’oeuvre, limité à seulement 75 exemplaires, célébrant le 75e anniversaire de Jacky lckx en 2020. Inspirée d’un des casques portés par Jacky Ickx, même la couleur X Blue de cette édition limitée est inédite. Les moulures du nouveau capot et la ligne le séparant du bouclier avant évoquent la première génération des 911. L’esthétique d’une modernité intemporelle.

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